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Nous qui avons été élèves de Première ou de Terminales entre 1957 et 1966 gardons un vif souvenir de Raoul Piboubès (l'abbé... à l'époque, et surtout Pipoub'), notre professeur d'histoire et de géographie. Il est décédé à l'âge de 92 ans à Pau le 23 novembre dernier. Ses obsèques ont eu lieu le 29 novembre en l'église Sainte-Thérèse à Pau. Voir l'avis du samedi 26 novembre dans le journal Le Monde. Un mot peut être adressé à son épouse Gisèle Piboubès à l'adresse suivante : 103 avenue Trespoey, 64000 PAU.

J'avais repris contact avec lui, et je lui rends hommage dans le texte qui suit, au nom de l'association.

Jean-Yves Urien, élève en Première (1964) et Terminales (1965).

HOMMAGE à RAOUL PIBOUBÉS (1930-2022)

Raoul PIBOUBÈS (1930-2022)

HOMMAGE

Raoul Piboubès a enseigné au Petit-Séminaire depuis l’année scolaire 1956-1957, jusqu’à juin 1966. Il venait tous les vendredis de Saint-Brieuc préparer les classes de Première et de Terminales aux épreuves d’histoire et de géographie des deux Bacs. Il assurait ce même service au lycée Saint-Charles à Saint-Brieuc. Là encore, en classe supérieure, il préparait les étudiants au concours d’entrée à L’École Navale. On imagine la masse de travail représentée par ce triple service. À Saint-Charles, il était « Pib’ » et à Quintin « Pipoub’ ».

Ceux qui, à Quintin, l’ont eu comme professeur gardent le souvenir d’un pédagogue d’une qualité exceptionnelle. Selon la norme pédagogique de l’époque, « ex cathedra », qui était très directive. C’est du moins ce dont je puis témoigner. La rigueur et la clarté de ses exposés étaient constantes et témoignaient d’une érudition géographique et historique sans faille. Pour moi, ce fut une ouverture sur le monde. Ouverture, en géographie, sur les réalités économiques, sociales et géopolitiques de l’époque. Ouverture, en histoire, sur des événements, des personnages, et des civilisations nouvelles. Une ouverture certes racontée, avant la bascule dans le monde réel, mais elle nous permettait de nous évader de la forteresse classique des versions, des thèmes, et des dissertations où nous nous exercions à des formes d’écriture. Lui nous présentait de la matière humaine, avec une liberté de pensée bienvenue. Et de l’esprit à revendre. Je garde un souvenir précis de ses portraits de Bismarck ou de Jean Jaurès, du tableau de la montée du nazisme, de « Gringoire » et de l’affaire Salengro, de son récit de son retour de Buenos Aires en 1939 sur le Massilia, son père ayant été mobilisé. (Mais pas seulement). Il trouvait la formule percutante à mémoriser. « Comprenez que la Grande-Bretagne est une île, et nous aurez tout compris ». L’anecdote significative : « Qu’est-ce qu’un Japonais ? On l’invite à photographier le château de Versailles et il photographie les arbres et les feuilles des allées ! » Sa curiosité, sa perspicacité et sa passion étaient contagieuses. Nous partagions ses voyages.

Je me souviens aussi du diaporama qu’il nous présenta (en 1965) d’un voyage en Croatie, dans la salle de spectacle sous la chapelle. Ses diapositives étaient techniquement remarquables, d’une grande pertinence géographique et historique, et elles étaient commentées avec la précision et l’esprit habituel. Il fut par la suite un guide recherché l’été, notamment pour des voyages en Afrique du Nord.

Il préparait une thèse sur les élevages d’huitres et de moules en Bretagne. Il représentait par là un intellectuel en recherche. J’ai dû apprendre cela à l’époque par un autre briochin, l’abbé Salmon, enseignant lui aussi charismatique, en biologie, avec qui nous pouvions librement dialoguer pendant les T.P. d’observation sous microscope de cellules épithéliales. Ils venaient ensemble à Quintin, en « clergyman » et en D. S !

1966 sera l’année pour lui du renouveau. Nous ne le verrons plus. Il prépare le concours d’agrégation de géographie, qu’il passe en 1968. Il y est reçu 1er, ce qui lui ouvre la porte de l’université. À la rentrée d’octobre 1968, il est assistant à l’Université de Nanterre, dans des conditions d’après crise de « Mai » que l’on connait. Les cours débutent en janvier. Les professeurs (titulaires) se replient dans leurs bureaux auprès de leurs thésards, tandis que les assistants affrontent les masses étudiantes dans des amphis surchargés et remuants. Le doyen Paul Ricœur fut couvert d’une poubelle à papier ! Voici encore une anecdote d’un autre collègue, également à Nanterre à l’époque. Celui-ci commence son cours, et il est interrompu rapidement par un leader en lutte : « Monsieur. Vous nous faites cours depuis un quart d’heure et vous ne nous avez pas encore parlé de la lutte des classes ! *». Raoul Piboubès restera à Nanterre deux années. Elles furent épuisantes, m’a-t-il confié.

Il obtient sa mutation à Brest, au CNECSO qui devient l’IFREMER, dans la fonction de documentaliste. À charge pour lui le recueil des documents publiés dans le vaste domaine de l’océanographie, ainsi que le traitement éditorial et la publication des recherches des membres de l’institut. « Monsieur Thalassa » en quelque sorte. Diverses missions le conduisent à la F.A.O. à Rome, au Pérou (documentation maritime régionale), en Algérie (la pêche), un an aux U.S.A. dans les divers centres océanographiques américains. Après avoir étudié le monde des cartes, il a ainsi pu parcourir le monde réel.

La recherche reste une part importante de son activité. Sa thèse, soutenue à Rennes, Pêche et conchyliculture en Bretagne-Nord est publiée en 2 tomes en 1973. Elle est désormais disponible en e-book PDF à petit prix. En 1989, parait un Dictionnaire de l’océan avec un lexique en 4 langues. En 1994, avec Zaher Massoud, il rédige un imposant Atlas de côtes françaises. Suivra L’atlas du bois avec Patrick Gay en 2001. Sans compter de nombreux articles, par exemple, pour la revue le Chasse-marée. (Internet fait état de l’ensemble de ses publications).

À sa retraite, il repartira vers Pau, vers ce Sud dont est originaire sa famille paternelle… et son nom : Piboubès, « la peupleraie », dans une variante d’occitan.

 

Merci, Monsieur le Professeur, au nom de tous ces adolescents alors à la recherche d’eux-mêmes, pour qui vous avez compté.

 

*Raoul Piboubès aura échappé à ce qu’est ensuite devenue l’université. Le collègue que je cite m’a raconté qu’en fin de carrière cette scène s’est reproduite, avec cette variante : « Monsieur, vous faites cours depuis… mais il fait trop chaud. Peut-on ouvrir la fenêtre ? »

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