Théophraste. Soirée châtaignes.

n°283

La gazette de Théophraste     Par Élie Geffray

Soirée châtaignes chez Edmond.

Il y a les partisans des châtaignes cuites à l’eau. Et il y a les partisans des châtaignes grillées. C’est à cela que l’on reconnaît les nuances des goûts et des habitudes. Là-dessus aussi la France est partagée. Chez Edmond c’est « châtaignes grillées » et cidre bouché… C’est comme ça, cela a toujours été comme ça, et ce n’est pas autrement. Une petite variante tout de même : Edmond qui n’est pas très porté sur le jus de pomme, s’autorise un coup de rouge avec les châtaignes, à condition que ce ne soit pas « un vulgaire picrate. » Un bon verre et demi de Beaujolais fera l’affaire.

Pour l’occasion ce dimanche soir de regroupement familial, on a apporté un fagot pour faire un feu de cheminée, un trépied et la fameuse « arrassouère. » Oui, c’est vrai, ça salit un peu la cuisine, mais c’est tellement chaleureux et ça rappelle le bon vieux temps. Mais Maryse ( « notre fille du Morbihan ») a promis d’assurer le service nettoyage avant de partir. Mais nous n’en sommes pas là. Une bonne « fouée » commence à chauffer les châtaignes qui se mettent à gémir. Si, si. En écoutant bien on les entend. C’est là qu’il faut les « tourner » en soulevant la « arrassouère » par le manche et bien secouer le tout adroitement, sans en laisser passer par-dessus bord, le moins possible en tout cas. Soudain une explosion signale qu’une châtaine vient de « péter ». Edmond a « gueulé » comme quoi « on voit bien que vous n’y connaissez rien, a-t-il observé, les châtaignes, faut les inciser avec un couteau avant de les exposer au feu. Faut tout vous dire ! »

La première tournée a été versée dans une binette en osier où chacun vient plonger la main pour en retirer une poignée de bien cuites, faciles à éplucher. Mais attention, ça brûle ! Il faut de la patience avant de commencer à déguster. Et ce n’est pas la qualité principale ici, sauf Yolande qui est vertueuse, mais qui a surtout l’expérience de la cuisine. « Chat échaudé craint l’eau chaude » explique-t-elle. Au bout de quelques minutes, tout le monde a les mains noires. Maryse regarde de biais Robert (« Notre gendre ») et le prévient : « Fais donc attention où tu mets les mains, ta chemise et ton pantalon sont tout frais lavés. Ne te salope pas si tu veux être propre au boulot demain. »

Comme quoi, une partie de châtaignes grillées, ça rassemble bien la famille, mais faut quand même faire attention. Un qui a failli rompre la bonne ambiance, c’est Edmond qui n’a pu s’empêcher de ramener la politique sur le tapis. Il s’est dit soulagé de l’élection de Lula au Brésil. Damien, notre étudiant « Insoumis » a renchéri en disant qu’il fallait absolument barrer la route aux fachos. Mais Yolande et Maryse ont eu la même réaction : « Mettez donc la politique de côté pour une fois. On n’entend que cela à longueur de journée : l’Ukraine, le Brésil, la planète, la pénurie de ceci et cela…On n’en finit pas. Pour une fois qu’on peut passer une soirée en oubliant les catastrophes, ce n’est pas plus mal. »

Et juste à ce moment-là, une châtaigne a éclaté bruyamment comme une bombe à Kiev.

Théophraste : « Comme disait Philippe Bouvard : faites la guerre, mais fichez-nous la paix ! »